Déclaration liminaire :
Le projet de loi ESSOC introduit diverses mesures qui concernent la douane, notamment à travers le droit à l’erreur. Le syndicat UNSA DOUANES analyse les axes de ce projet de loi et son impact de la façon suivante.
1/ Le droit à l’erreur : une apparence d’inversion de paradigme qui affaiblit l’administration dans sa position
La confiance ne se décrète pas, elle se gagne, et pour citer JP SARTRE, elle se gagne en gouttes et se perd en litres. La confiance que la douane entretient avec les acteurs licites du commerce n’est pas une chose nouvelle tant elle s’est employée à la créer depuis de longues années.
Le projet de loi intitulé « FONCTION PUBLIQUE : un Etat au service d’une société de confiance » laisse présager le fait que l’administration voit « le mal partout », ce qui n’est pas vrai. Les droits des contribuables n’ont eu de cesse d’être renforcés ces dernières années et la pratique administrative s’est aussi alignée sur cette tendance. La douane a créé depuis bien longtemps des cellules CONSEIL AUX ENTREPRISES et accompagne dans la bienveillance les sociétés qui le souhaitent.
Le concept de droit à l’erreur fait fi de l’appréciation in concreto des situations d’infraction que l’administration des douanes connaît.
Par une pratique très raisonnable, la douane a toujours fait en sorte de distinguer selon la gravité des infractions constatées et a toujours adapté ses réponses, allant de l’absence de sanction à l’application totale des sanctions qu’elle peut infliger au titre de ses pouvoirs administratifs. Le pouvoir de transaction est largement utilisé pour le matérialiser, sans compter le passer outre.
Le maître mot a toujours été le discernement et c’est un mauvais procès d’intention que de lui imputer une volonté de présumer la fraude ou une absence de souplesse dans la compréhension des situations litigieuses.
D’autre part, le concept du droit à l’erreur est intimement lié au programme « Action publique 2022 » et donc au périmètre de l’administration des douanes.
En conséquence, avancer sur le thème du droit à l’erreur ne doit pas être un renoncement à l’action répressive qu’elle exerce légitimement sur ceux qui fraudent et de manière plus large sur la légitimité pour la douane à exercer ses missions.
Plus qu’une inversion de paradigme, c’est donc l’affaiblissement de la position d’une administration régalienne que nous pressentons.
2/ Conséquences des nouvelles mesures pour la douane et interrogations
Nous souhaitons donc que la présomption de bonne foi édictée au profit des particuliers et des professionnels ne vide pas de son sens l’action LCF de toute la douane.
La notion de confiance avec un opérateur, celle de conseil et de service rendu doivent s’articuler avec la mission LCF. Comment entendez-vous le faire concrètement et éviter la schizophrénie ?
Concernant la pratique du rescrit qui est certes répandue en Europe et préexistait à travers le RTC en matière tarifaire, qui assumera la charge nouvelle de ces demandes ?
Concernant le droit au contrôle : la légalisation d’une forme de masochisme ne rendra t elle pas l’administration des douanes paralysée ? Comment celle-ci mènera t elle les contrôles demandés par les opérateurs et en même temps les contrôles spontanés qui sont sa mission première et qu’elle a déjà beaucoup de difficultés à mener ?
La superposition des missions classiques et de ces nouveaux droits risque de créer un décalage avec la réalité des forces dont dispose la douane. In fine, le risque que nous voyons est celui d’une friche répressive, particulièrement en opérations commerciales.
3/ quid des diagnostics de délinquance ?
L’articulation de cette réglementation avec l’action de la criminalité organisée qui a infiltré la vie économique depuis longtemps nous préoccupe. Quels diagnostics de délinquance ont présidé à de telles mesures ?
Comment séparer le bon grain de l’ivraie et déterminer la bonne ou mauvaise foi d’un interlocuteur puisque le droit à l’erreur sera opposable par tous ? L’administration des douanes aura t elle une politique précise d’appréciation des comportements pour déterminer quand le recours au droit à l’erreur est dévoyé ?
Qui aura compétence pour déterminer si le droit à l’erreur est opposable?
Cela pose la question de la modernisation de la douane, pas seulement dans la facilitation des échanges, mais dans l’augmentation de ses capacités à détecter la fraude. Ce volet est totalement absent. La douane a t elle une ambition pour compenser cette situation de déséquilibre des forces ?
Comment le décèlement des cas de fraude se fera t il ? La création du SARC est un élément mais le renforcement du DATAMINING, le renseignement et l’initiative vont ils avoir lieu ?
Les bureaux, brigades et enquêteurs des douanes seront-ils confirmés comme des acteurs au quotidien du décèlement et de la sanction douanière ?
Nous aurions préféré que les diagnostics de la délinquance soient posés préalablement et que ce projet de loi ne donne pas l’apparence de la facilitation de la fraude. Nous espérons donc que le projet de loi lié à la lutte contre la fraude, actuellement au Sénat, sera l’occasion d’approfondir ce volet LCF sans que la défiance à l’égard de l’administration, notamment des douanes, soit le présupposé.
Séance du vendredi 25 mai 2018 :
La séance est présidée par Gil LORENZO, sous-directeur au bureau D de la direction générale.
En préambule, il rappelle le processus entamé par la DOUANE depuis près de 30 ans et consistant à donner de nouveaux droits aux citoyens comme aux entreprises.
Parmi les exemples les plus récents, il cite la procédure du droit d’être entendu et la réforme de laretenue douanière. Il estime que ces dernières évolutions du corpus juridique n’ont pas empêché la Douane de mener à bien son action de lutte contre la fraude. Le projet de loi ESSOC, avec sa fameuse mesure du « droit à l’erreur » apporterait ainsi que de simples éléments nouveaux dans la relation entre les citoyens et l’État.
Dans sa déclaration liminaire, l’UNSA dénonce la représentation de la Douane qui se dégage à la lecture du projet de loi intitulé « Fonction publique : un État au service d’une société de confiance ». Une représentation qui accentue à outrance les traits de sa nature répressive et nous tend un miroir dans lequel on peine à se reconnaître.
La Douane s’engage pourtant afin d’édifier cette société de confiance en accompagnant les entreprises et en apportant une réponse proportionnée face aux manquements constatés (le pouvoir transactionnel et le passer-outre en sont des exemples flagrants).
Cependant, on peut se demander si l’avènement de cette société de confiance 2.0, doit se réaliser au prix du sabotage organisé de l’action LCF de la Douane ?
La Direction Générale présente aux organisations syndicales, les nouveaux droits induits ou confortés par la loi ESSOC, dont la promulgation est prévue pour la fin juillet 2018 :
► Le droit à l’erreur : concerne les contraventions en matière de contributions indirectes et à celles concernant la fiscalité nationale et reprises par le Code des Douanes.
Il se traduit lors de la première infraction par l’absence de pénalité infligée et la réduction des intérêts de retard (de 30 ou 50 %).
► Le rescrit : un redevable sollicite la Douane afin de connaître son interprétation des règles en matière de fiscalité nationale ou de contributions indirectes. Cette prise de position est opposable à l’administration.
► Le rescrit contrôle : mis en oeuvre dans le cadre d’un contrôle initié par l’administration qui prend position sur tous les points contrôlés (que le contrôle soit positif ou négatif). Le redevable peut également solliciter une extension du contrôle en cours.
► Le droit au contrôle : toute société peut faire l’objet d’un contrôle prévu par la loi ou le
règlement sur des points qu’elle précise. La Douane dispose d’un délai de 6 mois pour effectuer ce contrôle et notifie ses conclusions à l’opérateur.
► La limitation de la durée des contrôles : une expérimentation est menée pour 4 ans dans les régions Hauts-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes instaurant une limite de la durée des contrôles opérés par l’ensemble des administrations pour certaines entreprises (moins de 250 salariés et chiffres d’affaires annuel inférieur à 50 millions d’euros) et équivalente à un délai cumulé de contrôle de 9 mois maximum sur une période de 3 ans.
Aux yeux du législateur, cette batterie de nouveaux droits apporteront une simplification salutaire pour les citoyens comme pour les services de l’État.
Pourtant, le chantier induit par ces nouveaux droits paraît titanesque avec : la mise en place de formation des personnels, la conception des outils informatiques adaptés, la centralisation des réponses en matière de rescrits et la définition d’une chaîne de décision efficace… Si de nombreux points restent à définir, nous pouvons cependant être rassurés, car de
tout nouveaux indicateurs de performance seront conçus pour mesurer l’application de cette loi.
► L’UNSA constate que ces nouveaux droits feront peser une lourde charge de travail supplémentaire sur la Douane et sur ses services clairsemés.
Par leur dimension chronophage, ils constituent également une menace pour sa capacité à mener des contrôles d’initiative.
► Les différentes mesures contenues dans ce projet de loi et particulièrement « la limitation de la durée des contrôles » rendront la programmation et la coordination des contrôles impératives que ce soit entre services douaniers et services de l’État.
Ou comment la simplification attendue accouchera d’un véritable casse-tête.
► L’UNSA attend les réponses que la direction générale apportera aux interrogations concernant les formations, la centralisation des réponses, les outils informatiques disponibles, les ressources humaines employées et la définition de la chaîne de décision.
Pour tout cela, il n’y aura malheureusement pas de droit à l’erreur.
Les représentants UNSA DOUANES
Annie BENEDETTI – Stéphane LEDIEN – Romain FORTUNIER
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