Courrier intersyndical au Président de la République

Objet : Avenir de l’Administration des Douanes


Monsieur le Président de la République,


C’est avec beaucoup de solennité que l’intersyndicale (rassemblant tous les syndicats des douanes) s’adresse à vous.


En effet, tous les Présidents de la République qui se sont succédé ont toujours reconnu le rôle essentiel de notre Administration, forte de ses deux branches réunies, de sa technicité et de son implantation territoriale.


Comme vous le savez, les douaniers sont porteurs de quatre piliers de missions au service de la santé et de la sécurité des citoyens, des frontières, mais aussi des entreprises ou des recettes de l’État :


• contrôle des marchandises importées sur le territoire : contrôle des normes, de l’origine, de la valeur, lutte contre la contrefaçon ou la contrebande, lutte contre les trafics de stupéfiants, armes ou cigarettes, lutte contre le crime organisé, adaptation aux nouvelles techniques de commerce (e-commerce, fret express, fret postal, darkweb, etc), lutte pour les espèces protégées, les biens culturels, les espaces protégés, lutte contre les trafics de déchets, etc
• mission économique au service des entreprises et de leur compétitivité :
accompagnement, vérification de la loyauté des échanges et des concurrences déloyales dont elles peuvent être victimes (notamment pour celles qui ont fait le choix de ne pas délocaliser leur production)
• lutte anti-terroriste : depuis les attentats particulièrement meurtriers de 2015, le Président F.Hollande avait reconnu la douane au coeur du dispositif. Il avait d’ailleurs procédé à un recrutement exceptionnel à l’époque.
• mission fiscale : la Douane c'est 15% des recettes de l'Etat, c'est aussi la lutte contre le blanchiment, c'est le contrôle de la fiscalité énergétique et environnementale, et enfin la lutte contre l'évasion fiscale  notamment au travers du manquement à l'obligation déclarative)


Nous, organisations syndicales douanières, nous permettons de vous alerter sur ce qui va se passer dans un avenir proche à la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects (DGDDI).


Au moment de la rentrée 2019 et la parution du rapport « Gardette », nous avons découvert que ce document (dont les médias ont obtenu la primeur avant les principaux concernés) contenait ni plus ni moins que le transfert à l’horizon 2022-2024 au profit en particulier de la Direction Générale des Finances  Publiques (DGFiP) des principales taxes fiscales perçues par notre administration pour le compte de l’Etat.


La liste des transferts et/ou abandons est longue :
– Droit Annuel de Francisation et de Navigation (DAFN),
– Taxe Spéciale sur certains Véhicules Routiers (TSVR),
– Taxe sur la Valeur Ajoutée à l'Importation (TVAI),
– Taxes Intérieures de Consommation sur le Charbon (TICC), le Gaz Naturel (TICGN) et Finale d’Électricité (TICFE).


La perception de ces différentes taxes par l’administration des Douanes rapportait au budget de l’État plus de 34 milliards d'euros en 2018 ainsi qu'en 2019. Le projet de loi de finances (PLF) 2020, publié le 28 septembre 2019, reprenait à la lettre le rapport Gardette.


À ces transferts prévus s’ajoutait celui déjà réalisé au 1er janvier 2019 des Boissons Non Alcooliques (BNA). C’est la DGFiP qui avait récupéré la perception de cette taxe. Les conséquences du transfert des BNA, fait dans la précipitation et de manière hasardeuse, sont apparues quelques mois plus tard. Des pertes notables de recettes (environ 20%) ont été constatées au détriment des finances de l’État : en effet les méthodes de travail de nos collègues des Finances Publiques ne reposent pas sur le contrôle physique de la marchandise mais sur des contrôles documentaires a posteriori.


Précisons immédiatement qu’il ne s’agit pas d’une mise en cause de la DGFiP ; les Finances Publiques ayant leur propre expertise, leurs méthodes de travail étant simplement différentes de celles de la Douane.


Afin de mettre en application ces transferts, et en l’absence de réel dialogue social, des groupes de travail réunissant les deux administrations se sont tenus à partir d’octobre 2019 jusqu’au premier trimestre 2020. La crise sanitaire a ensuite imposé un gel de ces réunions. Aucune annonce n’est intervenue pendant cette période trouble pour le pays.


D’une part, sans préavis, nous venons d’être informés que le calendrier était non seulement maintenu mais que le cycle des réunions de travail bi-directionnels prévoyant le transfert des taxes n’était pas reconduit. Nous nous retrouvons mis devant le fait accompli avec des transferts maintenus pour la période 2022-2024.


D’autre part, une taxe initialement non reprise dans le rapport Gardette, la Taxe Intérieure de Consommation des Produits Énergétiques (TICPE), va-t-elle aussi être transférée aux Finances Publiques ? Il convient de noter que le rapport Gardette n’avait absolument pas fait mention de la TICPE, préférant en laisser la perception à la Douane. Le rapport de la Cour des Comptes quant à lui ne préconise surtout pas ce transfert. Ce dernier transfert acte de fait la perte du caractère fiscal de l’administration des douanes.


La TICPE (plus de 33 Mds € perçus en 2019, dont 17 pour le compte de l’État) représente l’archétype du travail effectué par la Douane. Pour un coût de recouvrement de 0,39 cts pour 100 euros recouvrés (un des plus faibles de l’OCDE), les douaniers assuraient une traçabilité et un contrôle à la fois physique et documentaire des stocks des produits soumis au paiement de cette taxe. Spécialisés, ils assuraient un service de proximité aux entreprises (qui souhaitent le maintien de la gestion de cette taxe à la DGDDI) tout un fiabilisant les recettes budgétaires de l’État et des collectivités.


La Douane maîtrise les particularités de la matière imposable, ses subtilités réglementaires (notamment les secteurs de réduction et d’exonération), et, compte tenu de son réseau spécialisé, fournit une prestation de qualité, tant en matière de conseil que de contrôle. Les entreprises savent que ce dernier volet est un point essentiel pour maintenir leur position compétitive dans un environnement économique tel que le marché unique européen.


Ce constat peut également s’appliquer aux autres taxes concernées par les transferts. En ces temps où le budget de l’État est tout entier mobilisé pour soutenir l’économie durement touchée par la Covid, ce point n’est pas négligeable.


Autre point à prendre en compte, la dimension sociale de ces transferts. Près de 700 emplois sur 4 ans vont se retrouver impactés, certains personnels connaissant ainsi leur troisième restructuration. Ce chiffre de 700 pourrait être largement dépassé à notre sens (2500 selon la DGDDI), surtout si l'hypothèse du transfert des contributions indirectes refait surface. Au-delà d’un réseau douanier inévitablement très fragilisé, un chiffre de 4000 agents concernés ne serait pas une hypothèse déraisonnable.
Et qu’a-t-on à proposer aux agents comme avenir ? Rien, aucune solution pérenne ; de nombreuses administrations, en particulier à Bercy, subissant elles aussi des restructurations.


Les amendements pour le Projet de Loi de Finances (PLF) 2021 ont été déposés, nous vous sollicitons afin de faire revenir l’administration sur ce projet néfaste à la fois pour le service public et les finances de l’État. En ces temps troublés, il ne semble pas raisonnable de se lancer dans des projets hasardeux décidés sur de simples motifs idéologiques. Le cas des BNA évoqué plus haut devrait inciter à tout le moins à la prudence.


Ces bouleversements s'inscrivent plus généralement dans un processus de démantèlement progressif de l'administration des douanes, qui a vu en quelques années son rôle passer de celui de régulateur des flux de marchandises et de capitaux à celui de facilitateur des échanges commerciaux, dans un contexte de concurrence acharnée entre les différents états-membres de l’Union Européenne.
Syndicat National des Agents des Douanes (SNAD) CGT


Alors que la crise liée à la pandémie mondiale de Covid-19 a mis en exergue l'impérieuse nécessité pour la France de retrouver une souveraineté industrielle, alimentaire et sanitaire, et que l’urgence climatique devrait imposer une relocalisation généralisée de tout l’appareil productif, organiser l’inefficience du seul service en mesure de procéder au contrôle physique des marchandises en mouvement est non seulement contre-productif, mais porte aussi et surtout gravement atteinte au seul principe supposé sous-tendre l'action publique, celui de l’intérêt général.


Dans cette optique, nous sollicitons de votre bienveillance, Monsieur le Président de la République, une audience avec vous afin de vous exposer la situation.


Nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, aux assurances de notre très haute considération.


Les secrétaires généraux des organisations syndicales douanières
 

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